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Xerfi Business reçoit cette semaine Michel Mondet, Président d'Akeance Consulting pour une nouvelle interview : l'Eglise est-elle une entreprise comme les autres ? Interview menée par Thibault Lieurade.
Thibault Lieurade : Michel Mondet, Bonjour.
Michel Mondet : Bonjour.
TL : Vous êtes président d’Akeance Consulting et en plus d’être chef d’entreprise, vous ne vous en cachez pas, vous êtes un fervent catholique. La question que j’ai vraiment envie de vous poser c’est : est-ce que c’est vraiment compatible, parce que l’on sait bien que le monde des affaires n’est pas très réputé pour être extrêmement charitable ?
MM : Oui c’est compatible, première réponse c’est sûr. Deuxième réponse, c’est qu’on peut même pousser les feux et dire que l’Eglise, au sens de la chrétienté en général, est très comparable à une entreprise qui aurait particulièrement réussi. Vous avez quand même la première entreprise au monde qui a deux milliards de clients qui ne paient pas de prix et deux millions de collaborateurs qui ne sont pas bien payés ou pas payés du tout, c’est une première lecture.
On pourrait avoir une deuxième lecture qui est de remonter aux origines pour voir comment s’est créée cette entreprise et de se dire que finalement, il y avait quand même quelque chose de start-up là-dedans.
TL : De start-up ? Expliquez-nous cette analogie.
MM : Il y a une forte analogie. Aux premiers temps, le IIIe siècle est un grand siècle de développement de la chrétienté, vous avez eu jusque-là et pendant les IIIe - IVe siècles, beaucoup de débats, un peu comme les start-ups au début. C’est quoi le service ? C’est quoi le produit ? Alors c’est quoi la sainteté ? C’est quoi la trinité ? C’est quoi la liberté de l’homme ? Vous avez tout ça, ça discutait, ça bavassait, ça se réunissait et on finit par se mettre d’accord sur ce que l’on va vendre.
Il y a même un peu des pivots, comme on dit en start-up à cette époque-là où il y a des débuts de mini-schismes, on n’est pas tous d’accord les uns et les autres donc on commence à avoir des chrétiens comme-ci, des chrétiens comme ça, comme il y a des pivots dans les start-ups si vous voulez. Et puis vous avez un troisième sujet qui me fait beaucoup penser au mutualisme qui est le suivant, c’est que tout est électif dans la chrétienté, depuis le début : on élit ses évêques, les évêques eux-mêmes élisent leur métropolitain, etc. donc on est en permanence dans l’élection, en permanence dans les synodes donc ça fait beaucoup penser quand même aux assemblées générales de caisses locales.
TL : Si on continue dans cette analogie, qu’est-ce que le développement de l’Eglise nous apprend du développement d’une entreprise ?
MM : Beaucoup de choses, il y a des tas de choses à dire mais vous avez des exemples simples, là encore sur les origines. Par exemples prenez saint Paul, il a dit « mes clients c’est tout le monde ». Il y avait des questions, saint Jacques disait « il faut être juif pour être chrétien, saint Paul a dit, on arrête là : tout le monde peut venir dans le magasin si vous voulez.
TL : On dé-segmente le marché quelque part.
MM : On dé-segmente complètement le marché, le monde est à moi et on fait la première mondialisation : c’est saint Paul.
Deuxième chose, vous avez saint Jérôme qui voit que les parts de marché se déplacent. Elles se déplacent un peu vers l’ouest donc il traduit tous les textes en latin, pour être un peu plus compatibles avec la langue de ceux qui seront à convertir à l’époque.
Vous avez une troisième chose, c’est que toute entreprise, toute start-up, a envie de convaincre très vite, elle veut des quick-wins. Donc on a inventé les quick-wins de la charité vous savez, les parabolans qui sont ces espèces de brigades d’infirmiers volontaires à Alexandrie, c’étaient des centaines de mecs qui s’occupaient de soigner les pauvres de différentes maladies etc. Donc ça s’est très vite mis en place pour qu’on ait un quick-win concret de la charité et de la chrétienté.
TL : Si on va encore plus loin dans ce parallèle, est ce qu’on peut dire que le Pape finalement, c’est un patron de multinationale ?
MM : Oui pour la partie catholique romaine, après il faut une petite restriction. Mais oui bien sûr et là aussi, si vous reprenez les débuts de la chrétienté, les papes ont toujours eu ce rôle de dire finalement « je suis là pour modérer les uns et les autres », y compris parmi les saints officiels que sont les saint Cyprien, saint Martin de Tours, saint Ambroise de Milan etc. qui s’engueulaient les uns, les autres. Le Pape a toujours eu ce rôle de modérateur. Il ne faut pas oublier qu’on a quand même mis trois siècles à caler le credo, ça a pris un certain temps. Donc ce rôle de modérateur c’est le rôle du chef d’entreprise et on peut, alors peut être aux Borgias près, mais on peut quand même lire les Papes de l’Eglise catholique comme étant sempiternellement des modérateurs de leurs équipes c’est très vrai.
TL : Il y a quand même une différence c’est que l’objectif, la finalité de l’Eglise, ce n’est pas de faire de l’argent.
MM : Non, vous avez raison, mais c’est presque l’inverse Thibault si vous voulez. Il faut considérer que c’est une entreprise qui a abouti, c’est-à-dire qu’elle a réussi à faire que les individus, clients, collaborateurs etc. travaillent ensemble, fassent des choses ensemble pour un projet, qui a la dimension spirituelle bien sûr mais qui est un projet, comme toute entreprise a son projet. La force de l’entreprise c’est de mettre des gens ensemble pour participer à un projet et être gratifiés par la réussite de ce projet. Malheureusement, aujourd’hui au sens habituel l’entreprise elle est un peu polluée par l’argent, elle est polluée par ce qu’il y a des prix, elle est polluée par ce qu’il y a des salaires, mais elle est polluée aussi parce qu’il y a un besoin d’enrichissement on le sait tous et ça met un peu au second plan cette envie, qui est fondamentale dans une entreprise, de créer ensemble.
TL : Merci beaucoup Michel Mondet d’être venu vous livrer à cet exercice un peu contre-intuitif d’établir un parallèle entre l’Eglise et l’entreprise, c’était tout à fait original, merci beaucoup.
MM : Merci.